Le député communiste était, cet été, le rapporteur de la « Commission d’enquête sur l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de la République ». Un rapport en trois parties : « Inclusion scolaire et universitaire : moins lacunaires et moins confidentiels, les chiffres ! » ; « l’accessibilité universelle à l’école et à l’université : passer de « on va le faire » à « on le fait » ; et « l’accompagnement : faire en sorte que les moyens s’adaptent aux besoins, et non l’inverse ». Un rapport riche d’une cinquantaine de propositions. Extraits de l’introduction.
Il y a un gouffre entre la pratique et la théorie qui, depuis la signature de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) à New York, il y a bientôt trente ans, exige que « les enfants handicapés aient effectivement accès à l’éducation, à la formation, aux soins de santé, à la rééducation, à la préparation à l’emploi et aux activités récréatives, et bénéficient de ces services de façon propre à assurer une intégration sociale aussi complète que possible et leur épanouissement personnel, y compris dans le domaine culturel et spirituel. » (1)
Certes, on ne peut pas nier que des progrès ont été enregistrés depuis la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées, qui a institué la notion d’obligation scolaire. (…) Cependant, il a fallu attendre près de trois ans pour que la France ratifie la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), dont l’article 24 consacre le droit des personnes handicapées à l’éducation, en imposant notamment aux États parties de veiller à ce que « les enfants handicapés ne soient pas exclus, sur le fondement de leur handicap, de l’enseignement primaire gratuit et obligatoire ou de l’enseignement secondaire » et à ce que « les personnes handicapées puissent, sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire. » (2)
Ce n’est d’ailleurs qu’en 2013 que la notion d’« inclusion scolaire » des enfants et adolescents en situation de handicap a été consacrée par la loi (3). C’est dire si l’inclusion scolaire et universitaire des élèves et étudiants en situation de handicap avance à pas lents. Preuve en est que, comme l’a indiqué lors de son audition le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, « le handicap est le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de discrimination : il représente près de 23 % des quelque 5 000 saisines sur cette base. »
Les rapports régulièrement produits par l’Organisation des Nations unies (ONU) attestent également de ce que les marges de progrès en matière d’inclusion scolaire et universitaire restent considérables. (…) En d’autres termes, la progression quantitative de l’accueil des élèves et étudiants en situation de handicap dans les établissements scolaires et universitaires ne saurait masquer les graves lacunes dont pâtissent les conditions de cet accueil d’un point de vue qualitatif. Comme Mme Caroline Coutant y a exhorté, « il faut arrêter de s’en tenir à de grands discours démagogiques et cesser les manifestations d’autosatisfaction quand les familles crient à l’aide. Il est temps d’évoquer les sujets qui fâchent, de prendre en compte les dysfonctionnements que nous constatons quotidiennement, de ne plus s’en exonérer en prétextant qu’il s’agit d’un cas isolé. »
C’est l’état d’esprit qui a animé le groupe de la Gauche démocrate et républicaine lorsque, dans le cadre du « droit de tirage » que lui reconnaît l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale, il a choisi, le 23 janvier dernier, de faire l’état des lieux, sans fard ni tabou, de l’inclusion des élèves et étudiants en situation de handicap dans l’école et l’université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005.
L’objectif était double. Il s’agissait, d’une part, d’établir un diagnostic partagé (et aussi précisément chiffré que possible) de la situation, car, du point de vue du rapporteur, on ne pourra progresser que sur ce que l’on saura correctement mesurer ; et, d’autre part, de proposer un « acte II » de la loi du 11 février 2005, fondé sur le pari, inspiré du « principe d’éducabilité », que tous les élèves et étudiants peuvent apprendre, à condition de leur en donner les moyens.
Pour relever le premier de ces deux défis, le rapporteur s’est attaché à faire le départ entre ce que l’on sait et ce que l’on ignore des réalités de l’inclusion scolaire et universitaire des élèves et étudiants en situation de handicap, ce qui l’a conduit à interroger plusieurs des ministères chargés de la mise en œuvre de cette politique publique. (…) Sans aller jusqu’à faire sienne la recommandation formulée par le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), qui préconisait l’an dernier d’« étudier la création d’un ministère unique ayant, parmi ses missions, la responsabilité de tous les enfants (petite enfance, école, accompagnements…), dont ceux en situation de handicap » (1), le rapporteur estime urgent et indispensable qu’en cohérence avec l’objectif affiché par le Gouvernement de créer, pour la rentrée 2019, un « grand service public de l’école inclusive » (4), le pilotage de la mesure statistique de l’inclusion scolaire et universitaire soit mieux structuré et centralisé. (…)
Proposition n° 1. En cohérence avec l’objectif de création d’un « grand service public de l’école inclusive », structurer et centraliser le pilotage de la mesure statistique de l’inclusion scolaire et universitaire des élèves et étudiants en situation de handicap. Rendre les chiffres moins lacunaires et moins confidentiels, les actualiser plus régulièrement (et autant que possible en temps réel) et les partager avec l’ensemble des acteurs concernés : c’est là la condition pour une gestion plus efficiente des politiques publiques qui visent à améliorer l’inclusion scolaire et universitaire des élèves et étudiants en situation de handicap.
Ces politiques méritent d’être déployées de manière encore bien plus ambitieuse qu’elles ne le sont aujourd’hui dans le cadre de la « révolution copernicienne » annoncée par le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, M. Jean-Michel Blanquer. Elles gagneraient en particulier à faire l’objet d’une programmation des objectifs et des moyens (à la fois humains et matériels) qui, grâce à une politique nationale construite à partir de concertations menées sur les territoires, permette de réduire les fortes inégalités sociales et territoriales que la commission d’enquête a pu constater au gré des quelque quarante auditions et tables rondes auxquelles elle a procédé.
C’est de ce riche travail d’écoute et d’investigation que résulte la cinquantaine de propositions que le rapporteur soumet dans le présent rapport pour réaliser le « saut qualitatif » que Mme Sophie Cluzel a appelé de ses vœux lors de son audition, et pour « passer de “Oui, on va le faire” à “Oui, on le fait” », selon la jolie formule de Mme Amandine Torresan.
1. Article 23 de la Convention internationale des droits de l’enfant, 20 novembre 1989.
2. Article 24 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, signée le 30 mars 2007 et ratifiée par la France le 18 février 2010.
3. Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. L’article L. 111-1 du Code de l’éducation dispose désormais que le service public de l’éducation « veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction ».
4. Voir le lien suivant : https ://handicap.gouv.fr/IMG/pdf/2019_dp_ecole_inclusive.pdf